La rosace des claviers

Grâce à la découverte du timbre des orgues, je me réintéresse par ricochet au piano. Je travaille en ce moment cette adapatation de Liszt du prélude et fugue en la m de Bach dont il existe plusieurs versions sur you tube. C'est à la fois exaltant et frustrant de sentir un toucher qui nous en cache et en occulte éternellement un autre. Un voile est ôté alors qu'un autre apparaît au même moment. Un petit détour par le synthé est aussi sympathique et permet d'avoir l'orchestre virtuel en prime (même si ça reste limité il y a de nombreuses combinaisons d'instruments préenregistrées dans des styles très différents), ce qui donne une ouverte supplémentaire à la sphère sonore.

La découverte du Père fait forcément redécouvrir le Fils car l'un ne peut exister sans l'autre. Le Père doit sacrifier le caractère immuable du son continu et interminable (grâce à l'électricité nous évitons les esclaves souffleurs, mais peut-être que dans mes classes j'aurais intérêt à remettre en service des hydraules antiques afin d'occuper des élèves paresseux et ennuyés qui aiment l'activité physique pour pomper un peu...) au Fils qui est le plus expressif mais doit sans arrêt accomplir de pénibles et fastidieux arpèges pour réaliser son oeuvre bienfaisante.

Il est étonnant de constater qu'un morceau de Bach pourtant complexe joué à l'orgue apparaît presque "facile" et ne donne aucune fatigue si bien qu'on peut s'enfiler des pages de canons et de fugue à qui tire la rigo, alors que le même exécuté au piano demande des efforts importants et épuise cérébralement. Voilà l'effet de la kénose. Ce qui est perdu en terme de continuité se trouvé gagné en qualités exprimées et manifestes au prix d'un incessant sacrifice. 

Les pianistes sont donc des Christ qui s'ignorent et pas seulement des bêtes à concours. Mais je ne connais pas encore le clavecin qui reste empourpré  d'un parfum de mystère au sein de la trinité des claviers.