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Fantaisies autour de l'orgue et des claviers
15 août 2015

Louis-Bertrand Castel et les "trémoussements" du son et des couleurs

Dans la bonne société du XVIIIè siècle au sein de laquelle les libertins ne se pâmaient pas si aisément que ça, les savants messieurs expliquaient doctement Newton aux dames (les trans-réverbérations, les suavités célestes et les transfusions de tous les sens étant réservées aux mystiques catholiques) tandis que les bons esprits rationaliste aimaient se gausser et se railler des originaux et des rêveurs.

Le fantasque Louis-Bertrand Castel, inventeur du "clavier oculaire" (qui n'a pas rêvé un jour d'en jouer gracieusement ?) a un temps amusé la galerie tout en passant pour fou. Il est vrai qu'il fallait une certaine vaillance et une quasi inconscience pour s'attaquer à l'icône montante de son temps génial savant prince de la gravité mais faussaire en métaphysique optique.

J'avais commencé à générer l'idée d'un "orgue à parfum" qui permettrait de varier et multiplier les plaisirs sonores (opération alchimique évidemment transposable à tous les sens, puisque l'orgue exprime notre corps subtil avec l'ensemble de ses registres et la gamme de ses jeux) à satiété en me croyant très original. J'ignorais que j'avais été précédé en la matière par ce bizarre ecclésiastique qui voulait glorifier la création par cette  encore plus curieuse invention.

synesthesiemai2006

 

"Il fait paraître un  premier texte en 1725, intitulé Clavecin pour les yeux avec l'art de peindre les sons et toutes sortes de pièces de musique, qui sera suivi des Nouvelles expériences d'optique et d'acoustique en 1735, puis de L’Optique des Couleurs, fondée sur les simples observations, & tournée sur-tout à la practique de la peinture, de la teinture & autres arts coloristes, édité en 1740.

Louis Bertrand Castel conçut un projet poursuivi son existence entière : construire un clavecin capable de transformer les sons en couleurs. Son dessein était plein de bonnes intentions : dans l’article préliminaire paru en  1725 il ne s’agit pas moins que «… de peindre ce son et toute la musique dont il est capable ; de les peindre, dis-je réellement, ce qui s'appelle peindre, avec des couleurs , et avec leurs propres couleurs ; en un mot, de les rendre sensibles et présents aux yeux, comme ils le sont aux oreilles de manière qu'un sourd puisse jouir et juger de la beauté d'une musique (...) et qu'un aveugle puisse juger par les oreilles de la beauté des couleurs.»

«  Au sortir du déluge, Dieu nous regardant en pitié comme de petits enfants, il nous montra cet arc-en-ciel, vrai joujou, vrai clavecin, dont l’aspect a quelque chose de riant et de gracieux » ;  « Or, pour le dire en passant voilà votre tonique, voilà votre tierce, et votre quinte de couleurs dans les trois principales du prisme ou de l'arc-en-ciel ». « Avant le déluge, la Nature était semée de mille coloris. Après le déluge, l'arc-en-ciel a été donné à l'homme comme sceau d'une alliance entre celui-ci et Dieu.

Le premier ton de l'arc est le la, tandis que le clavecin possède une tonique ut-bleue. L'arc-en-ciel est donc monté en mineur, le clavecin en majeur. Comment résoudre ce problème ? Avant le déluge, l'œuvre de Dieu, pure, résonnait en majeur et le ciel était entièrement bleu. Après le déluge, le bleu devint sanglant, comme tout ouvrage divin. La fondamentale bleue du départ, mélangée au rouge devint violette et résonna dès lors en mineur : « L'arc-en-ciel n'est qu'une allégorie de Jésus-Christ et mon clavecin qui en descend est chrétien

C.Q.F.D ! Bien entendu le ton et l'argumentaire peuvent prêter à sourire (mais en réalité il ne faut pas prendre cette description "à la lettre" car elle se réfère à un monde imaginal qui ne se situe pas dans la sphère sensible; à cette époque les comparaisons issues du domaine sensible ont pour but de nous élever vers les "sphères intelligibles" qui émanent de Dieu) , mais il n'en demeure pas moins que si Castel n'as pas réalisé son projet, une pléiäde de musiciens s'est attaché à traduire les sons dans les autres sens : le motif de la transmutation synesthénique hante en vérité les artistes, aussi bien les peintres que les plasticiens et les musiciens. 

En effet la possibilité de transmuer un sens en un autre était dans toutes les traditions l'apanage de l'homme non déchu. L'être "régénéré" par la prière et l'intensification de sa dévotion recouvre cette faculté qui témoigne de la purification de ses sens subtils. Le piège consiste à vouloir dresser des tableaux systématiques fondés sur des analogies subjectives et spécieuses qui se contredisent forcément tous les uns les autres (cela donne du grain à moudre aux adversaires de ce genre de spéculations taxées de billevesées datant d'un âge révolu et dépassé).

En réalité chaque artiste est à même d'opérer ses propres synesthénies une fois que la faculté à été recouvrée (ce n'est pas mon cas mais on peut facilement déduire ce principe en recoupant les informations). Si Beethoven considérait le B mineur comme la "clé noire" et Schubert voyait le "E mineur" comme "une jeune fille vétue de blanc avec un voile rose rouge sur la poitrine", Scriabine rêvait de l'accord fondamental traduisant en matière sonore "l'extase universelle" certainement mieux que la dernière philosophie de Fichte dont il était épris des spéculations absonces.

Vassili Kandinsky raconte que dès l’âge de trois ans, il voyait les couleurs se détacher des objets, affirmant sa synesthésie, une prétention alors très à la mode en particulier dans les milieux artistiques. Caressant le violon comme Ingres, fasciné par la puissance émotionnelle de la musique, il écrit en 1907 Der Gelbe Klang, le son jaune, associant musique, poésie, théâtre et jeux de lumière. En 1910, Alexander Scriabin compose Prometheus: The Poem of Fire, qui comporte une partie pour un orgue coloré. Prometheus fut produit à  New York en 1915 ; un orgue lumineux projetait des lumières colorées sur un écran au dessus de l’orchestre.

Cette "prétention" me parait une légitime aspiration, dans la mesure où nous ignorons la plupart de nos facultés et 99 pour cent de notre esprit nous est encore inconnu. Aujourd'hui, les "sons et lumière" sont devenus monnaie courante et chose par trop familière. Mais qui a accompli et réalisé et restauré le Clavecin intérieur qui permet de faire vibrer les cordes sensibles et d'opérer d'impossibles synesthésies ?

 

 

 

 

 

 

au goût

 

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Fantaisies autour de l'orgue et des claviers
  • Je suis pianiste-organiste grand amateur mais je souhaite progresser et acquérir une qualité professionnelle par l'application de la méthode de Marie Jaëll restituée aux différents claviers.
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