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Fantaisies autour de l'orgue et des claviers
2 août 2015

La trinité des claviers : les confessions d'un misérable pianiste repenti

J'ai lu récemment que l'orgue mal joué donnait une impression fâcheuse d'immobilité et de statisme. De son côté, le clavecin mal entendu délivre un son "fugace" et évanescent tandis que le piano tendait à "mécaniciser" le son en faisant perdre sa densité et sa substance.

J'ai très longtemps pratiqué le piano sans vraiment chercher à entrer dans la conscience du son en profondeur et en me satisfaisant d'impressions superficielles. Je suis tombé dans la fascination pour Glenn Gould en écoutant des Toccatas sur microsillon en me laissant berner par ses affirmations provoquantes et surprenantes sans chercher à analyser et comprendre les racines réelles de son jeu et de son expression. J'ai tenté assez une jeune une sorte d'"imitation" qui m'a fait régresser de plusieurs années en un temps record.

Lorsque j'entendais de l'orgue, je percevais effectivement quelque chose de monotone et sans relief, ce qui est un comble pour le "roi des instruments" qui engendre une richesse de timbres insoupçonnable et sans limites assignables. Le clavecin aigrelet me semblait sortir directement d'un magasin d'antiquités. Je trouvais son son pincé particulièrement insupportable assimilable au sous-produit du seul clavier digne de ce nom : le piano.

Cette hypnose traduit une véritable atrophie des sens et de l'oreille et atteste une forme de folie douce. En écoutant à Notre-Dame il y a quelques mois des sorties de messe le dimanche (je venais sépécialement pour ça car j'appréciais quand même le tonnerre de l'orgue quand il se met à sonner plein jeu), j'ai eu  le "coup de foudre" et une forme de révélation : en une seconde mon monde sonore s'est écroulé.

J'avais perçu une ligne de timbre très étrange (en fait je crois que c'était tout simplement un jeu de gambe mais peu importe je n'arrive toujours pas à identifier correctement les jeux) et mystérieuse qui me semblait toute droit sortie des catacombes et surgissait d'un autre espace-temps. J'ai pris conscience du caractère inimitable et unique de ce timbre qui se glissait au milieu d'autres ainsi que de la richesse infinie des combinaison des jeux d'orgue auprès duquel les autres instruments à clavier faisaient bien pâle figure. Ils me semblaient davantage donner du "son en série" qu'un visage ou une sculpture sonore personnifiée.   

 Je suis allé écouter ensuite Charles Henri Houbart  ainsi qu' un très beau concert à Saint-Eustache présentant les deux jeunes lauréats succédant à Jean Guillou à la tribune. Je me suis renseigné sur le logiciel Hauptwerk et la façon de se constituer un orgue domestique numérique mais je me suis senti assez vite dépassé alors j'ai laissé tomber l'affaire non sans avoir effeuillé le monde mystérieux de l'orgue, les mémoires et prospectives de Jean Guillou et les livres du musicologue Gilles Cantagrel sur Jean Sébastien Bach comme le moulin et la rivière

Mais ces lectures abstraites n'ont pas permis de mettre suffisamment d'eau à mon moulin ni à la bouche, car tant qu'on a pas touché le clavier on reste un borgne, un aveugle et un estropié. Un jour, alors que j'emmenais ma fille au camping près de Cap-Ferret, après avoir été jouer dans un parc, je suis entré dans une église dans laquelle se trouvait un positif. Piqué par la curiosité, j'ai ouvert le petit capot et j'ai commencé à improviser en touchant quelques boutons au hasard et en pressant le pédalier.

Cette fois le contact a été excellent et j'ai bien joué une heure jusqu'à ce que ma fille de trois ans se lasse. Le lendemain j'ai voulu revenir mais cette fois l'église était fermée ainsi que le surlendemain. Sensible à ce signe j'ai alors décidé de me rendre au stage d'orgue de Saessolheim en Alsace. Lorsque je suis arrivé et conduit de la gare Saverne directement à l'orgue de l'église, je ne parvenais pas à le croire : je jouais sur un orgue, un vrai (une personne est venue spécialement du Japon pour ecpérimenter les orgues français car elle trouve que les orgues sont "faux" là bas faute de contexte et d'histoire).

Cela me semblait complètement irréel de pouvoir produire des sons incroyables et extra-ordinaires alors que les personnes déambulaient plus bas comme si de rien n'était. Une voie intérieure diabolique avait envie de leur crier à toutes : mais vous ne voyez pas que je joue de l'orgue vous êtes sourdes ou quoi tandis qu'une autre angélique murmurait tout bas surtout ne mets pas un jeu trop sonore et contente toi des flûtes afin de ne pas déranger les fidèles.  

Pourtant l'envie me pressait d'utiliser les pleins jeux juste pour voir et constater l'effet produit...

Le lendemain, visite guidée d'une dizaine d'orgues de la région qui repousse la première leçon: la connexion se produit spontanément entre mon imaginaire très teinté de culture chrétienne et le monde visuel et sonore des orgues. Les fortes sentences écrites en allemand aux portes des églises ou aux plafonds ornés de lys résonnent puissamment en moi : ici vous entrez dans la maison de Dieu et rien d'autre n'a d'importance ou le temps présent de la douleur n'est rien par rapport au temps heureux du paradis futur.

En effet je suis très amateur de mystique germanique chrétienne et chaque élément du décor peut se rapporter à cet univers dans cet environnement particulier. La contemplation continuelle de christs et de tableaux mystiques produit un effet sidérant d'effacement des apparences ordinaires, comme si je me trouvais plongé dans un univers cohérent et ordonné autour du Père tout puissant incarné par la splendeur de l'orgue.

Entre près de dix heures d'orgue par jour (répartis entre le travail perso les cours individuels et collectifs, les concerts...) cela vous nettoie les oreilles et vous forge un homme ! Le soir en regagnant ma chambre et en allant dormir quelques heures après avoir pris soin de récupérer la clef de l'église pour y aller tôt sans rencontrer âme qui vive les sons et les timbres de l'orgue semblent s'intérioriser suite à une concentration sur le "coeur".

Le souvenir sonore des beaux morceaux produit un serrement et une pression assez forte au niveau du coeur qui engendre toute sorte de pleurs qui peuvent durer assez longtemps. Une forme d'émotivité contenue et refoulée trouve là matière à s'exprimer (un peu comme dans une thérapie), mais aussi une forme plus subtile de sensation qui tient à la fois de la douleur et du plaisir, de la nostalgie et de la satisfaction. Les sons de l'orgue et les timbres semblent pouvoir ouvrir des canaux dans l'organisme et surtout créer des conductions nouvelles porteuses de sens et de joie.    

Mais pour former "l'orgue intérieur" l'audition extérieure est indispensable, car c'est elle et elle seule qui permet au cerveau de s'informer et d'"enregistrer" des données pour les restituer par la suite sous forme d'audition imaginative qui modifie les signaux initiaux à partir de la base donnée. Si tous les êtres de la terre se mettaient à jouer et à pratiquer l'orgue intérieur, le besoin des orgues physiques s'en trouverait sensiblement accru, car les deux aspects se renforcent l'un et l'autre et ne s'excluent pas.

Intrigué par ce phénomène j'ai demandé à mes petits camarades au petit déjeuner, haut lieu d'échange en dehors des repas collectifs, si l'orgue continuait à bourdonner en eux jusque dans leur sommeil. Car l'orgue peut être très envahissant : c'est un véritable être qui demande à être servi et joué sans relâche quitte à tout lui sacrifier, femmes, hommes et enfants.

Des retraités y consacrent leurs vieux jours, de riches mécènes font construire par des facteurs réputés des orgues à tuyaux grandeur nature dans leur salon, des jeunes personnes brillantes travaillent d'arrache-pied pour que l'instrument délivre ses pouvoirs, des professeurs dans la force de l'âge dispensent leur savoir patiemment accumulé, des érudits connaissent tous les détails de son histoire sacrée tandis que les poètes en mal de muse y trouvent une secrète inspiration.     

En deux mots, le monde de l'orgue n'est pas seulement une institution : c'est une véritable confrérie avec son langage propore coloré fait de tirasse, de jeux de fonds, de soubasses, de montre, de diapason, de doublette, de cornet, de prestant, quinte, nazard, gambe, viole de nuit, salicional, mixtures-tierces et mutations... et ses évènements rituels comme le concert à la mémoire du cantor qui a lieu tous les ans à Saint-Thomas de Strasbourg suite à l'instauration de la commémoration par Albert Schweitzer et se finit par une sorte de veillée silencieuse à l'écoute du choral "von deinem Thron". 

Car l' incontestable maître de l'instrument demeure le grand Jean-Sébastien Bach, dont l'ombre auguste plane encore dans toutes les tribunes d'Alsace et de Navarre.

Une fois que le virus s'est instillé dans l'organisme et s'est emparé de être dans son entier, l'état de grâce intial a fait peu à peu place à un état plus stationnaire fait d'acédie et de travail, d'efforts et de satisfactions ponctuelles, comme après toutes les rencontres sulfureuses qui cherchent les règles du renouvellement amoureux bien tempéré sans connaître l'embrasement, la passion complète et définitive qui consumme tout sur son passage.

En guise d'embrasement, j'ai péniblement lors de ce séjour appris à bouger les pieds de façon rationnelle à la façon d'un "yoga" (il faut tenir en "équilibre" sur son banc selon un axe et ne pas provoquer de contraintes inutiles aux pieds), car l'essence de l'existence organique consiste à porter sa croix et embrasser un fardeau qui apparaît plus léger quand il n'est plus repoussé mais voulu.  

Est-ce que le salut viendra et passera par la re-conduction des sensations correctes à l'extrémité des organes des mains et des pieds ? En tous cas mon expérience consistant à marcher pieds nus me fait passer sûrement aux yeux des autres pour un véritable va nu pieds (comme cet aubergiste effaré), mais le jeu en vaut sans doute la chandelle.

Mon affliction a été totale lorsque je me suis trouvé en face d'un petit instrument appelé "clavicorde" dans l'école du village que j'ai été bien incapable de faire sonner comme il se doit par manque de finesse et de compréhension de l'instrument. J'en ai été réduit à le marteler comme un sourd d'après un morceau de Ligeti mal digéré dont j'avais un vague souvenir ("continuum") sans pouvoir faire vibrer la corde sensible et entendre le moindre écho musical.

Le lendemain un de nos virtuoses interprétait sur cette caisse de bois des "voluntary" de Stanley dans un silence attentif. Quelques notes écrites pas ce compisteur aveugle et poignant suffisent à me combler et à m'intriguer bien d'avantage que l'intégrale assourdissante des six sonates de Mendelshon la veille par le même organiste.

Je me suis demandé comment j'avais pu maltraiter ainsi cet instrument faute de science du toucher, alors que résonnait juste à côté en écho le premier contrepoint de l'art de la fugue joliment orné "à la française". Alors le "jeu luthé" caractéristique de cette pièce célèbre traduit-il une écriture spécifique destinée au clavecin comme nous l'a asséné le spécialiste de la question ?

Une seule chose est certaine pour moi. La trinité des claviers montre clairement la possibilité et la vérité de l'amour tant humain que divin. Le son "immobile" de l'orgue mais infiniment varié en ses timbres traduit la majesté, l'impassibilité et la prodigalité du Père, la richesse des possibilités expressives du piano manifeste l'intensité de cet amour porté au Fils dont le jeu luthé et perlé au clavecin condense la vibration ineffable en libérant l'âme de ses liens.

Wanda+Landowska+Landowska

     



 

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  • Je suis pianiste-organiste grand amateur mais je souhaite progresser et acquérir une qualité professionnelle par l'application de la méthode de Marie Jaëll restituée aux différents claviers.
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